L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes revient régulièrement sur le devant de la scène. L’arsenal législatif s’est étoffé régulièrement depuis le principe « à travail égal, salaire égal » inscrit dans la loi en1972 . Malgré tout, la persistance des disparités a conduit à passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats, avec la mise en place de l’Index Egalité professionnelle de la Loi Avenir de 2018.
Rappelons brièvement le principe de l’Index : les entreprises de plus de 50 salariés doivent publier tous les ans un index qui prend la forme d’une note sur 100 points. Cette note globale est calculée à partir de cinq indicateurs : les écarts de rémunération H/F par catégories professionnelles, les proportions de salariés H/F augmentés, les proportions de salariés H/F promus, les augmentations en retour de congés de maternité, la décomposition H/F des 10 plus hautes rémunérations (pour les entreprises de plus de 250 salariés). En cas d’index inférieur à 75 points, l’entreprise doit prendre des mesures correctives sous peine de sanctions financières. Pour tous les détails de calcul, nous invitons le lecteur à se reporter aux textes et documents du Ministère du Travail[1].
Le Think Tank Terra Nova vient de publier un rapport[2] sur la mise en place de cet index et son auteur formule plusieurs recommandations pour améliorer son impact.
Des avancées ont été confirmées : entre 2019 et 2020, la note moyenne est passée de 83 à 87,4 sur 100. La part des entreprises en alerte (en dessous de 75 points ) est passée de 17% à 4% . Les progrès sont indéniables. Malgré tout… l’amélioration de l’indicateur est-elle le signe d’un réel changement sur le terrain dans les politiques et les résultats ?
L’auteur du rapport en doute, et met en avant certains biais liés à la méthodologie de calcul de l’index, notamment :
Elle formule quelques recommandations :
Que penser de ces arguments ?
Bien sûr, nous ne débattons pas des questions de fond, et des convictions ou idéologies de chacun sur la question de l’égalité des sexes, souvent largement influencée par la dimension culturelle, sociologique et historique du pays étudié… Cette étude est intéressante pour les professionnels du chiffre, pour plusieurs raisons :
Elle montre clairement la limite des indicateurs dans la compréhension de la réalité. Un indicateur est un projecteur sur une zone particulière. Si on l’oriente différemment, on aura une perception différente du monde réel. Le choix des catégories professionnelles n’est ainsi pas neutre dans le calcul : autant effectuer celui qui est le plus favorable !
Ces limites sont particulièrement sensibles lorsqu’on utilise des calculs de moyennes, souvent peu représentatives des dispersions de la population.
Elle montre également la nécessité de croiser avec d’autres données, et peut-être d’enrichir les études internes avec des analyses et méthodologies appliquées au niveau macro :
Une note récente de l’INSEE[3] montre ainsi que les écarts de rémunération croissent avec le niveau de diplôme. L’avantage H/F est de 29,4% pour les Bac+3 et plus, alors qu’il n’est « que » de 15,8% pour les salariés n’ayant pas le baccalauréat. D’après l’INSEE, les différences de salaires H/F proviennent en premier lieu « d’inégalité dans l’accès aux emplois les mieux rémunérés », en particulier pour les mères de famille. L’INSEE poursuit : « les mères ont ainsi une probabilité d’accéder aux 1% des emplois les mieux rémunérés inférieure de 60% à celle des pères, alors que la probabilité d’accès des femmes sans enfant n’est inférieure à celle des hommes sans enfant que de 30% ». Lorsqu’on étend l’analyse de l’INSEE au 1er et 2ème décile, ces disparités diminuent mais restent tout de même conséquentes.
L’index « moyen » est donc peut-être favorable, mais les plafonds de verre subsistent. La loi Copé-Zimmerman a permis d’obtenir une bonne mixité des conseils d’administration (46% de femmes dans les CA du CAC 40), mais cela n’a pas ruisselé[4] dans les comités de direction (22% de femmes dans les Comex du CAC 40) ….
Et au-delà des cercles du pouvoir, d’autres études montrent également une disparité au niveau de la formation professionnelle. Une analyse de la Dares[5] publiée en juillet 2020 montre ainsi que à caractéristique d’emploi identique, les femmes se forment moins que les hommes, en particulier chez les moins diplômés.
En conclusion, on peut se satisfaire du calcul d’un Index d’égalité qui progresse…c’est nécessaire mais pas suffisant ! En fonction des secteurs, des métiers, des niveaux de qualification, les analyses internes doivent être contextualisées, objectivées, et intégrer des critères plus plus fins que ceux initialement proposés. Et au-delà , c’est toute une vision de la société qui est en jeu…
N’oublions pas que si l’entreprise est le reflet de la société humaine, elle la façonne aussi un peu.