Le pilotage de la masse salariale est un sujet qui préoccupe beaucoup les entreprises, et encore plus en période de crise ou de récession. Dans certains secteurs, elle peut représenter jusqu’à 80% du chiffre d’affaires, dont la plus grande partie est fixe. En cas de contraction ou de retournement de la conjoncture...la marge opérationnelle et l’EBITDA sont directement menacés !
Les enjeux sont donc financiers et économiques, mais pas seulement. La masse salariale est liée à la politique sociale et au système de rémunération de l’entreprise et va donc impacter la motivation des salariés en interne, leur fidélisation et leur engagement. L’attractivité externe est également un point clé. Si les packages de rémunération et d’avantages divers ne sont pas au niveau du marché, les candidats seront plus difficiles à recruter !
Il faut donc trouver le point d’équilibre entre ces trois facteurs : les enjeux financiers, les enjeux de fidélisation et de motivation interne, les enjeux d’attractivité externe.
Le sujet est donc sensible et implique de nombreux acteurs : la finance, mais aussi les ressources humaines et les opérationnels. Malheureusement, il génère souvent tensions et incompréhensions. La préparation des budgets requiert de très nombreuses informations, et une bonne coordination. Les analyses d’écarts sont complexes : les uns et les autres n’attendent pas le même niveau d’information, les informations réelles ne sont pas structurées de la même manière que le budget, et pas analysées par les mêmes personnes ...
Lorsque les acteurs (et en particulier les contrôleurs de gestion) n’en peuvent plus de dépenser autant d’énergie pour un si piètre résultat, le besoin d’un outillage dédié s’exprime. La frénésie des refontes budgétaires, des simulations et projections selon différents scenarii impose en effet de disposer de moyens fiabilisant et automatisant au maximum les informations et les calculs ! Excel montre vite ses limites.
Mais prudence : le risque de déception est grand si on n’a pas auparavant partagé les enjeux. Financiers, RH et managers doivent se mettre autour de la table et évaluer ensemble les risques : quels sont les risques financiers attachés à la masse salariale, mais quels sont aussi les risques sociaux ? Enfin, la performance opérationnelle peut-elle être impactée par les choix effectués ? Par-delà l’arithmétique de l’EBITDA, il faut tenter de percevoir les impacts à moyen terme des décisions prises.
Par exemple : pour limiter la croissance des frais fixes et dans une période difficile, il a été décidé de ne pas recruter pendant plusieurs mois, et de recourir à du personnel intérimaire pour répondre ponctuellement aux besoins. C’est une décision sage pour préserver la trésorerie à court terme dans les périodes d’incertitude. Mais peut-être faut-il moduler selon les métiers et les compétences requises. Y a-t-il un risque de perte de qualité du travail ? Un risque de perte de compétences ? Et au final, un risque de perte de compétitivité et de performance ?
Que faire ? Pas de recette miracle, mais en préliminaire il nous semble que deux points sont importants, et qu’ils doivent être partagés au niveau des équipes de direction (Finance, RH, directions opérationnelles)
Premier point : Définir les objectifs globaux de pilotage de la masse salariale
Avant de rentrer dans le détail des analyses d’écarts souhaités, il faut se poser la question : quel est notre indicateur clé de pilotage, et quel est notre cible ? Cela dépend du modèle économique de l’entreprise, de ses métiers, de sa saisonnalité... En clair, comment doit évoluer la masse salariale par rapport au chiffre d’affaires ? Choisit-on de suivre le ratio « Masse Salariale / Chiffre d’affaires » ? Ou bien « Masse Salariale / Valeur Ajoutée » ? Ou un autre ratio ? Mais il est encore plus important de se poser la question : si la masse salariale augmente de 1%, et à chiffre d’affaires constant, comment évolue le résultat ?
Il n’y a pas de réponse toute faite à cette question, chaque entreprise doit évaluer les risques dans son secteur d’activité, en fonction de la conjoncture et en fonction de ses projets. Cela peut varier au fil du temps et des cycles stratégiques et budgétaires.
Deuxième point : Déduire du point précédent le degré de finesse souhaité pour le pilotage de la masse salariale. Réduire la masse salariale n’est pas une finalité, le pilotage doit être au service de la performance globale. Quels sont les éléments qui devront être suivis très finement et de façon individuelle ? Quels sont ceux qui pourront faire l’objet d’un simple suivi statistique ? Il faudra moduler en fonction des risques et des enjeux, en fonction des métiers et/ou des activités de l’entreprise.
La construction des outils et techniques de pilotage ne pourra se faire qu’après cette réflexion, trop souvent négligée.
Après avoir défini les enjeux et les objectifs, il faut construire la grille de pilotage et les outils associés. Quelques étapes incontournables :
Etape 1 : Fiabiliser et harmoniser le système d’information
Etape 2 : Construire les agrégats budgétaires
Regrouper les dizaines de lignes comptables relatives à la masse salariale, en quelques agrégats correspondant à ce qu’on souhaite piloter et analyser, et à quel niveau (Paie, RH, Finance)
A titre d’exemple, on peut par exemple choisir de décomposer la masse salariale comme dans le tableau ci-dessous. Mais ce n’est qu’un exemple à adapter au contexte, aux enjeux et aux objectifs. On pourra souhaiter décomposer davantage ou au contraire regrouper certaines lignes, en fonction de la structure des rémunérations de l’entreprise. D’où l’importance de s’être mis d’accord sur les objectifs de pilotage...
Attention, important ! Deux éléments sont à définir clairement :
Etape 3 : Définir le modèle d’analyse : quels effets veut-on mettre en évidence ?
L’analyse de la masse salariale est le plus souvent une analyse d’écarts : entre deux périodes de temps, ou bien entre le réel et le budget. Comment expliquer les différences ?
Là encore, la finesse de décomposition des écarts est un choix de gestion. On peut citer (liste non limitative) :
Il faut pouvoir présenter les informations de la manière à expliquer le passage d’une masse à une autre. Voir par exemple ci-dessous [1] :
Ce tableau peut être illustré par une représentation en « cascades » (parfois appelé graphique en « bridge » ou « waterfall »).
Dans cet exemple, la masse salariale a très légèrement augmenté malgré une baisse liée aux effectifs. Mais c’est principalement dû à une compensation entre l’effet report des évènements de la première année (qui seront peut-être à analyser), et une non-reconduction de primes ou indemnités probablement exceptionnelles. Si on est dans une phase de conception budgétaire de l’année N+1, la question à se poser est la localisation des marges de manœuvre. La hausse de masse salariale liée à l’activité n’est pas vraiment un problème dans la mesure où le Chiffre d’Affaires croît probablement en parallèle (à vérifier...). Mais peut-être est-il possible d’optimiser ce surcoût (vaut-il mieux des HS ou de l’intérim ? Et quelles conséquences sur la qualité ? la productivité ?). On ne peut pas avoir d’action sur les charges sociales a priori. Les possibilités d’action sont au niveau des rémunérations (mais elles augmentent faiblement). En ce qui concerne les effectifs, il faut évaluer l’effet report sur l’année suivante... car les dates de départ et d’arrivée peuvent donner un impact global faussement rassurant.
Cette décomposition analytique des écarts correspond à une vision plutôt « Ressources Humaines », qui associe les écarts à leur cause, les évènements sur le terrain (les arrivées et départs et leurs dates, les augmentations...).
En contrôle de gestion, on adopte parfois une approche plus globale par moyennes, en mettant en évidence des écarts sur volume (production, effectifs, heures...), des écarts sur coûts ou prix (ou salaires), et des écarts sur mix ou composition [2]. Les deux approches ne s’opposent pas mais sont complémentaires. Il faut être capable de les réconcilier, notamment dans les univers de production où on calculera souvent un coût de l’heure de main d’œuvre.
En pratique :
Il faut arbitrer entre le trop simpliste et le trop complexe. Le point essentiel est de mettre en évidence les facteurs sur lesquels on a un levier d’action. La présentation du tableau de pilotage doit favoriser le dialogue entre les acteurs : sur quoi peut-on agir, et quelles sont les conséquences en termes opérationnel, social, financier ?
Enfin, la fiabilisation technique du calcul des écarts et leur exploitation seront facilitées par la mise en place d'un outil dédié qui permettra une meilleure réactivité.
Mais il est illusoire de croire qu'un outil magique dispensera du dialogue entre les acteurs !
[1] Des explications et cas pratiques dans nos ressources documentaires associées.
[2] Le cas et les calculs sont détaillés dans l’ouvrage « Management de la Performance et Ressources Humaines ». MH Millie. Editions GERESO - 2020
Dialogue et capital humain... Voilà deux expressions qui peuvent sembler incongrues lorsqu’on parle de masse salariale ! Et pourtant, le dialogue est la base d’un pilotage efficace de la masse salariale. Et ce pilotage va lui-même avoir des impacts forts sur le capital humain.
Dialoguer signifie :
Aujourd’hui, beaucoup de temps est consacré à la production et à la fiabilisation des données. Ce temps sera probablement bientôt libéré par des outils permettant de simuler toutes sortes de scenarii et permettant de décomposer tous les écarts instantanément (j’ai bien dit « décomposer », et pas « expliquer » ...), et c’est tant mieux ! La vraie valeur ajoutée du contrôle de gestion sera alors dans sa capacité à animer le dialogue et à prendre du recul sur les chiffres.
Quel lien entre la masse salariale et le capital humain ?
L’objectif de réduction des coûts, inévitable dans les périodes de crises ou de récession, ne devrait pas devenir une finalité permanente du pilotage. La recherche de flexibilité et d’optimisation de l’EBITDA à court terme ne doit pas se faire au détriment des compétences, au détriment du capital humain de l’entreprise.
En définitive, la masse salariale n’est pas seulement un sujet financier, ni un sujet purement RH, mais une thématique qui devrait les rapprocher plutôt que de les diviser.
[1] Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, récemment rebaptisée Strategic Workworce Planning.
[2] 1,8% selon le baromètre Ayming en 2018