Dans le sillage de la crise du Covid 19, le « Ségur de la santé » lancé le 25 mai 2020 ouvre le chantier de la rémunération du personnel soignant. Une des revendications porte sur le salaire des infirmiers : la France est mal positionnée puisque la rémunération moyenne de la profession est située au 23ème rang sur 33 dans le classement de l’OCDE[1], et largement en dessous de la moyenne (42 400 dollars en France pour une moyenne OCDE de 49 000 $).
Comparer et benchmarker n’est pas un exercice facile, plus encore dans un cadre international. Un article du Monde du 27 mai 2020 évoquait déjà quelques difficultés d’interprétation des chiffres, mais il nous semble que la liste pourrait s’allonger encore, et que d’autres indicateurs que "le salaire moyen" pourraient être plus pertinents.
Le Monde cite ainsi quelques difficultés dans l’utilisation de ces données :
Mais par-delà ces considérations techniques classiques, il me semble que la comparaison des salaires n’est pas le meilleur indicateur dans ce contexte. Dans la revendication actuelle, il y a celle du pouvoir d’achat bien sûr, mais aussi celle de la reconnaissance, jugée insuffisante par les intéressés pour des métiers « essentiels » pour la société, et dont les conditions de travail sont difficiles. Or, l’expression de cette reconnaissance ne peut se faire qu’en relatif par rapport au contexte de vie de ces personnels : dans un pays donné, comment la société valorise-t-elle ce métier ? Comment se métier est-il positionné sur l’échelle des rémunérations ?
La comparaison aurait pu se faire en mettant en évidence un autre indicateur utilisé par l’OCDE : le rapport entre le niveau de rémunération des infirmiers, et la rémunération moyenne du pays, tous métiers confondus.
Le graphique de l’OCDE est assez éclairant sur cette donnée (voir ci-contre) : la France dégringole alors à la 29ème place ! Ses infirmiers sont à un niveau inférieur de 10% à la rémunération moyenne du pays, alors que l’OCDE en moyenne est à + 10%, et certains pays bien au-dessus : +50% au Luxembourg, + 30 % en Espagne, pour ne citer que des proches voisins...
Bien sûr, la comparaison à la rémunération moyenne du pays n’est pas non plus la panacée, en particulier en France où les dilatations des échelles de salaires peuvent induire des distorsions. Les comparaisons de médianes seraient peut-être plus adaptées. Une autre possibilité serait de comparer dans chaque pays, le salaire infirmier au salaire minimal du pays (beaucoup de pays ayant un salaire minimal obligatoire), pour apprécier la considération qui lui est accordée.
En conclusion lorsque le ministre de la santé déclare souhaiter que « rapidement, nous puissions atteindre un niveau de rémunération correspondant au moins à la moyenne européenne », on se doute que la question sera infiniment plus complexe que la comparaison de moyennes internationales, par ailleurs hasardeuses du fait de la disparité des données et contextes.
La problématique du salaire ne peut être déconnectée de celle de la reconnaissance en général, de l'organisation et des conditions de travail, particulièrement difficiles dans un secteur sous tension depuis de nombreuses années, du fait des économies budgétaires, de la pénurie de médecins et autres professionnels de santé, et de l’augmentation des besoins (vieillissement de la population, hausse des maladies chroniques...). D’où un cercle vicieux qui s’installe : le phénomène génère lassitude et abandon du métier, et accroît les difficultés des établissements et des professionnels. Tous ces phénomènes sont liés et les augmentations de rémunération ne sont qu’un levier possible, probablement insuffisant.
[1] OCDE : « Panorama de la santé 2019 – les indicateurs de l’OCDE ». Les données relatives aux salaires sont en US $, en parité de pouvoir d’achat, et datent de 2017 (ou année la plus proche).